Olivier de Serres écrivain et Philosophe
Olivier de Serres, homme de lettres. C’est délibérément que nous faisons ainsi figurer en bonne place la dimension littéraire de notre personnage: son style dru et imagé n’a-t-il pas contribué de façon décisive au succès de son œuvre? Comment caractériser l’art de l’écrivain qu’est Olivier de Serres? Certains critiques l’ont jugé prolixe : c’est méconnaître la variété des sujets qu’il aborde, et le caractère encyclopédique de ses conceptions « ménagères ». N’y a-t-il pas lieu de regretter plutôt, à la lecture de certains passages pleins de vivacité, d’imagination et de poésie, que les développements ne soient poussés davantage? Mieux que quiconque depuis des millénaires que l’on cultive le sol, Olivier de Serres a su discourir simplement de mille choses, enseignant l’art rustique comme personne ne l’avait fait avant lui, avec clarté, précision et agrément. Ce qu’il faut retenir, c’est le caractère exceptionnel des qualités littéraires d’Olivier de Serres. Homme d’action et de terrain, il est aussi et avant tout un homme de lettres, ou plutôt la plus belle action de sa vie c’est sonThéâtre. Il se présente ainsi à son époque et encore à la nôtre, comme un champion de la communication écrite. C’est là un point important à souligner dans un monde où n’a cessé de s’amplifier le volume de la communication orale et visuelle. Le style d’Olivier est superbe, on peut le redire. Chaque paragraphe du texte contient plusieurs phrases sur lesquelles le lecteur s’arrête pour les relire, sourire et chercher dans son entourage quelqu’un à qui les dire !
Son éducation fut celle d’un « intellectuel » de la Renaissance. Lecteur infatigable et curieux, il applique à ses lectures un esprit critique tout à fait moderne, sachant garder le meilleur et faire le tri parmi les idées et les usages entre ce qui est digne d’intérêt et ce qui n’est que sottise et superstition. En fait, notre humaniste est doué au plus haut degré de ce que nous appelons l’esprit scientifique, qui procède du doute, de l’expérimentation et de l’analyse critique des faits observés. « J’ai trouvé, nous dit-il, un singulier contentement, après la doctrine salutaire de mon âme, en la lecture des livres d’agriculture » ; ces lectures et les voyages qu’ils a effectués lui ont donné une connaissance complète des pratiques champêtres de son temps et des temps plus anciens. Première conquête de la Renaissance, la primauté donnée aux arguments de raison sur ceux d’autorité trouve avec Olivier de Serres un ardent défenseur, et dans l’agriculture, un terrain d’élection ; n’est-ce pas là un domaine du savoir, jusqu’alors obscurci d’empirismes mal transmis, d’erreurs, de superstitions, de préjugés qui se sont accumulés au fil des siècles en strates successives sans passer par le tamis du discernement, et que se transmettent encore de bouche à oreille les fermiers et métayers de l’époque, sous le regard sceptique du maître des lieux. Hardi, certes, lorsqu’il conçoit une amélioration, c’est la prudence qui l’emporte chez lui quand il s’agit de l’adapter. Entre la tradition et le changement, la coutume et le progrès, il cherche constamment le compromis, ce qu’il exprime lui-même par une heureuse formule « la science de l’agriculture est comme l’âme de l’expérience. » Mêlé de très près à l’histoire de son époque et aux sanglantes guerres de religion qui ont ravagé le pays, Olivier de Serres est aussi un grand homme d’action. |