Olivier de Serres ingénieur 
            
          Auguste Jouret, célèbre habitant de Villeneuve de Berg, lui même ingénieur de l'école centrale de Lyon (ECL) a beaucoup étudié et écrit sur notre agronôme. 
            Il le voit comme imprégné de l'esprit d'ingénieur. Voici ce qu'il écrit en mars 1939 dans la revue Technica de L'ECL, à la veille du 400eme aniversaire de la naissance d'Olivier de Serres:  
            
            La  Méthode. 
          Le  Théâtre d'agriculture et mesnage des champs  révèle, au  simple coup d’œil, l'esprit méthodique de son auteur.
               
            Tout  au long des cent neuf chapitres, et qu'il s'agisse d'un sujet  important ou d'un passage secondaire, on sent qu'Olivier a  effectivement dirigé son œuvre, qu'il l'a commandée avec ordre  vers le but précis et pratique qu'il s'était assigné. Aucune  superfétation : la pensée est nette, claire.
           
          Ecoutons  notre philosophe nous parler de la science qui lui est chère : «  Science (l'agriculture) plus utile que difficile, pourveu qu'elle  soit entendue par ses principes, appliquée avec raison, conduicte  par expérience et pratiquée par diligence. Car c'est la sommaire  description de son usage : Science, Expérience, Diligence... » 
            Quelle  formule pour le frontispice de nos Écoles d'ingénieurs! 
          Il  convient de le souligner, c'est en plein XVIe siècle qu'Olivier de  Serres a écrit :« On se méfiera des charlatans et on se fondera es  choses, asseurées et sur lesquelles, comme presques les touchant au  doigt, l'homme d'esprit asserra solide jugement. » Est-il besoin de  rapprocher de ce texte, la première règle de la méthode  cartésienne qui, cinquante ans plus tard, conquerra le monde ? 
          Olivier  est singulièrement en avance sur son temps. Il applique déjà et  largement la méthode rationnelle. 
          
            
            
            
             
          
           Le  géométrien. 
          Encore  que la science d'Euclide ne lui fût point familière, le seigneur du  Pradel n'était point dépourvu d'esprit géométrique. Voyons  comment il enseigne au «mesnager» à mesurer son champ. Pour les  figures « quarrées, barlongues, trapèzes, triangulaires », pas de  difficultés. Quant à la «ronde»... !
            
               
          
          «Encore bien que le rond aye beaucoup travaillé jusques ici tous les  géométriens antiques et modernes, si est-ce qu'en confessant y  avoir employé quelques heures, j'en dirai en passant mon avis, comme  un de la foule.» Dans le cercle, il inscrit un triangle équilatéral  et, sur le côté de ce triangle, il dessine un carré. La surface du  carré est égale... à celle du cercle. La preuve est difficile à  faire, et pour cause. 
          Mais,  comme aujourd'hui on fait de la physique-mathématique, notre homme  pratique une géométrie-expérimentale: il pèse un parchemin rond  et un autre carré, tracé comme il vient d'être dit, et trouve «  leur pesanteur estre égale, ou du moins si peu différente qu'elle  demeure insensible ». 
          Le  côté du triangle inscrit étant égal à R √3,  la méthode d'Olivier donne 3 R² pour surface du cercle  (proche de 3,14R²). Ce n'est pas tellement mauvais comme  approximation (5%). Il  est remarquable que cet homme n'ait pas connu le nombre Pi et ceci  démontre, pour les biographes qui se sont posé la question, qu'il  ne reçut pas l'enseignement scientifique.  
           Le bastisseur. 
          Ecoutons  un extrait du discours sur la maison du « mesnager » et  demandons-nous si le bon sens n'était pas aussi bien partagé il y a  quatre siècles qu'aujourd'hui: 
  «  Deux choses sont requises aux bastimens, assavoir : bonté et beauté,  afin d'en retirer service agréable... 
          Nous  asserrons nostre logis des champs en lieu sain et le composerons de  bonne matière, avec convenable artifice : dont sera évité le  tardif repentir qui tous-jours suit l'inconsidéré avis de ceux qui  bastissent ». Quant à l'importance de la bâtisse, on se gardera de  voir trop petit, mais aussi de faire trop grand: « ...et faut qu'à  la longue la vanité de telle entreprise soit, la fable du peuple,  quand ayant basti une grande et superbe maison, elle demeure vuisde  par faute de revenu... Je dis que les bastimens mal projettes, sont  communément de plus grande despense en leur fabrique que les  autres... » 
          La  division du logis est étudiée minutieusement ; l'hygiène y est  recherchée : de nombreuses fenêtres assurent l'aération des pièces  habitées, la maison de maître est séparée des dépendances. Rien  n'est négligé. La salle à manger des domestiques sera proche de  celle du maître pour que celui-ci puisse «controller et au besoin  réprimer les propos déplacés.» 
          Enfin,  la cuisine, où se consume en bonnes odeurs le revenu des domaines,  est gratifiée de deux pages de texte comme étant la salle maîtresse  de la maison. Olivier de Serres est tout entier dans ces quelques  paragraphes prosaïques sur l'emplacement de la cuisine. On l'y voit  peser le pour et le contre avec une bonhomie sérieuse et rompre  délibérément, à la lumière de sa raison, avec les «coustumes  invétérées». 
              
              
              
               
          
            L'hydraulicien. 
          «  L'ingénieuse invention de Crappone, gentilhomme provençal, qui, en  l'année mil cinq cens cinquante-sept, fit conduire à Selon-de-Craux  (Salon), en Provence, un bras de l'eau de la Durance » fut pour  Olivier de Serres une révélation. Le voici, dès lors, chantant les  bienfaits de l'eau. Il a déjà assaini ses terres par le système du  drainage dont il est l'inventeur et qui, tombé en désuétude par  ignorance, nous reviendra, bien longtemps après, comme une panacée  agricole, par la voie étrangère. Et maintenant, il capte l'eau de  ses drains, aménage des sources, pose des conduites de bois, de  pierre, de poterie, dérive les ruisseaux, dirige l'eau dans ses  parcs, ses prés, la canalise vers ses moulins. Il va même, dans son  sec Vivarais, jusqu'à créer des étangs, comme cela existe dans les  Dombes pour recueillir «alternativement du poisson et du blé en  abondance». 
          Il  a observé le mouvement des eaux dans les ruisseaux et les rigoles.  Il sait presque calculer une section de canal d'après la pente et le  débit, et aussi résoudre le problème de l'établissement d'une  bonne prise en rivière. Certes, les formules à allure mathématique  de l'ingénieur moderne lui sont inconnues et, cependant, on  n'aménage pas mieux, aujourd'hui, une conduite d'amenée : bassin de  mise en charge, cheminées d'aération ou « esvenloirs », regards  de visite pour localiser les fuites, siphons ou « chantepleure,  fonctionnant par la vertu du vent enclos», rien ne manque à  l'adduction décrite au «mesnager» d'Olivier. 
          Il  savait aussi organiser ses chantiers. Voyez ce drain : « Jeter la  terre toute d'un costé, laissant l'autre costé libre, pour y  pouvoir aisément porter les pierres». N'est-ce pas de  l'organisation scientifique moderne? 
              
              
              
               
          
            Le  chimiste. 
          On  trouve le seigneur du Pradel en extase devant le jus sirupeux et  vermeil de la betterave. Si près d'une grande découverte! On le  revoit devant ses alambics de verre ou de terre vitrifiée,  distillant les «simples», loin de l'alchimie qu'il raille. Le  voici maintenant qui s'avise du dépouillement facile de l'écorce du  mûrier blanc. Il est vrai que cet arbre le lui devait bien. De cette  écorce souple, il fait des liens pour l'usage du champ, du jardin et  de la vigne. Il les laisse sécher quelque temps, en plein air, avant  de les utiliser. Or, un jour, le vent les projette de l'élendoir  dans le fossé du manoir où ils se détrempent. Olivier les retire  du bain providentiel. Alors apparaissent les fibres longues et douces  de leur armature. L'observateur a compris. Il traite ce nouveau venu  parmi les textiles avec les moyens du bord et en tire un fil soyeux,  puis, finalement, des tissus. C'est cette «deuxième richesse du  mûrier blanc» que le roi lui demandera de propager. L'invention  fut peu exploitée. Mais, parce que le mûrier évoque la soie, il  est difficile de ne pas évoquer ici la moderne industrie de la  rayonne. 
          
            
            
            
             
          
            Le  chef. 
          Un  des chapitres les plus remarquables du Théâtre d'agriculture  se rapporte à «l'office du père de famille envers domestiques et  voisins». 
          On  y trouve d'excellents conseils sur la conduite des hommes et de très  vives critiques envers les employeurs qui contrarient « directement  au devoir de charité, d'honnesteté, de société», comme aussi  envers les journaliers «n'ayant d'autres soins que d'observer le  temps de loucher argent». 
          Le  gentilhomme du Pradel fait preuve, dans ce discours, de fine  psychologie. Sa conception est toute chrétienne, encore qu'il  distingue les individus en deux catégories: ceux qui ont reçu le «sçavoir commander et autres l'obéir». 
          Ce  que l'on retiendra de ce chapitre, ce ne sont point tant les phrases  qui le composent, car après tout les rapports entre employeurs et  employés ont fait du chemin depuis si longtemps, mais la nécessité  où s'est trouvé l'auteur de les écrire. Il sait — ce que  l'enseignement de l'ingénieur moderne ignore — combien il est  difficile de diriger la main-d'oeuvre. On prétend que c'est un don  de nature. Olivier ne doit pas en douter ; il comprend cependant  l'utilité de rappeler à son «mesnager», à son modeste patron  des champs, certains principes qui s'oublient vite et de lui faire  part de sa longue expérience en celle matière délicate. A ce jour,  nos écoles d'ingénieurs où se forment les chefs d'entreprise ne  semblent pas avoir été aussi bien intentionnées. C'est une lacune  regrettable. On a cherché à la combler par des conférences sur  l'organisation scientifique du travail. Est-ce bien de cela qu'il  s'agit? 
          Auguste Jouret 
           
          Olivier de Serres et les astres en agriculture
          Alors que les connaissances scientifiques étaient encore bien lacunaires, Olivier de Serres avait déja observé toutes les incohérences des croyances populaires en matière d'agriculture. Aprés avoir réglé leur sort à "ces ridicules incertitudes", il s'intéresse avec tout autant de bon sens aux influences de la lune et des astres sur les récoltes. 
          Citons le, (lieu premier chapitre VII): 
          " Par tout généralement l'on ne se trouve d'accord sur telle matière, pour la diversité des opinions qu'on remarque parmis les hommes. En France, plusieur choses de mesnage se font en la nouvelle lune, lesquelles en Languedoc l'on n'oeroit entreprendre qu'en la vielle. Par exemple, les aulx en France sont semés, pour les faire égrossir en la nouvelle Lune & pour la mesme cause en Languedoc & Provence en la vielle..." 
            "Et si la dessus on veut dire que la diversité des climats, distants entre telles provinces de trois à quatre degrés, cause telles différence; l'on ne scait que répondre sur ceci, que les jardiniers d'Avignon & ceux de Nimes, quoi-que sous le mesme climat ne sont d'accord en tout: faisant heureusement les uns en une lune, ce que de mesme les autres font en une autre." 
            "Donques le bon mesnager sans s'amuser d'attendre par trop les lunes, les signes, les mois, ne les jours, expédiera ses affaires lors que par bon tempérament le Ciel et la Terre s'accorderont par ensemble... Si d'aventure le point de la lune s'accorde au temps, selon vos expérience, tant mieux, ce que toutefois ne tiendrez que pour accessoire." 
          Les connaissances scientifiques actuelles ont depuis largement donné raison à Olivier de Serres, et pourtant les hommes continuent de plus belle à croire aux diverses influences astrales.   
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