L'agronome
Homme de terrain, Olivier de Serres l’était sans conteste
puisqu’il s’est retiré dès 1578, à moins
de quarante ans, dans sa propriété vivaroise dont
la mise en valeur sera l’œuvre de sa vie. Par son calme,
la douceur de son environnement, son climat méditerranéen,
ce site était un lieu privilégié pour écrire.
Qu’Olivier
de Serres figure au premier rang des agronomes célèbres,
qu’il soit l’un des créateurs de la science agronomique
française, nul n’en peut douter. C’est Arthur
Young, le fameux agronome anglais, l’auteur de Voyages
en France qui, en 1789 l’a affirmé avec le plus
de force : « l’un des premiers écrivains de sa
spécialité que le monde ait jamais connu. »
La pièce maîtresse de son œuvre pratique fut la
suppression de la jachère, et de la vaine pâture. Jusque-là,
on laissait reposer une année sur deux ou trois, la terre épuisée
par les céréales.
L’idée d’Olivier de Serres est d’intercaler
dans le cycle des cultures profondes, les prairies artificielles, qui
vont permettre d’exploiter le sol sans solution de continuité.
Les assolements modernes, fondement de la prospérité agricole
et de l’expansion industrielle qui s’en suivit, sont ainsi
nés au Pradel.
La succession méthodique sur la même terre, pendant plusieurs
années, de cultures différentes assure la conservation
de la fertilité des sols et l’obtention des meilleurs
résultats possibles.
(In Un précurseur : Olivier de Serres. Pierre CORNET)
L’Edit de Nantes (avril 1598), en accordant aux protestants
la liberté de conscience, acheva la pacification du royaume.
La France allait pouvoir panser ses plaies et se remettre au travail.
Olivier de Serres y contribua puissamment.
Le patriarche du Pradel
travaillait depuis une vingtaine d’années à un
grand ouvrage sur l’agriculture. Quand la paix fut enfin rétablie
O. de Serres jugea le moment opportun de faire paraître son
livre. Il songea d’abord à le donner à un imprimeur
de Lyon. Mais, appelé à Paris par une affaire relative à la
succession de feu son frère Jean, il décida de profiter
de son déplacement pour traiter avec un imprimeur de la capitale.
Malgré son âge et les fatigues du voyage, il résolut
de se rendre à la Cour pour plaider la cause de ses neveux
infortunés. Quelques jours après son arrivée,
O. de Serres traita avec Jamet Mettayer « imprimeur ordinaire
du Roy ». Ayant mis au point une étude sur les
vers à soie,
qui devait constituer le chapitre XV du cinquième « Lieu » de
son livre, il décida, vu l’importance et la nouveauté du
sujet, de le faire paraître immédiatement, sous
le titre : la cueillette de la soye par la nourriture
des vers qui la font. Echantillon du Théâtre d’Agriculture
d’Olivier de Serres, seigneur du Pradel.
Ce mémoire sortit de presse « le dix huitième jour de février
M.D.XCIX ».
Quant au Théâtre, il fut achevé d’imprimer le 1er Juillet
1600. (In Revue des Amis de Villeneuve de Berg. 1939. Albert GRIMAUD)
Le maitre
du Pradel utilisa d’abord les auteurs anciens souvent cités comme
des références. Ensuite l’essentiel est une compilation d’usages
plus ou moins largement régionaux.
Néanmoins, l’auteur était ouvert à des
découvertes
nouvelles : il écrivit l’un des premiers textes sur
la pomme de terre, à peine introduite en Europe et dont
il décrivit la culture
avec exactitude. Au contraire des écrits de ses contemporains,
on ne trouve pas de système a priori chez lui. Par exemple,
pour les rotations des cultures, il préconisa une stratégie
souple, en fonction de situations locales ou momentanées.
Indifférence pour la routine et liberté d’action
le caractérisent.
Le
cœur du problème agronomique est le système,
cohérent, global et étroitement combiné de
la production des céréales vivrières, froment
d’abord, puis orge, avoine, millet et légumineuses de
consommation humaine. Pour cela, il est utile de supprimer ou de
réduire les jachères, ce qui impose d’avoir des
fertilisants. Le fumier est le premier de tous et l’on en produira
le plus possible à condition d’avoir de la paille et
des déjections animales. Les légumineuses fourragères
sont une excellente nourriture pour les herbivores. De plus O. de
Serres et ses contemporains les soupçonnaient de favoriser
les céréales qui suivaient : « l’Esparcet
vient gaiement en terre maigre : & y laisse certaine vertu engraissante à l’utilité des
bleds qui en suyte y sont semés ».
Le
maître du Pradel recommandait aussi la plus grande exigence
sur la qualité des reproducteurs animaux ou végétaux.
Greffons d’arbres fruitiers ou étalons, il fallait
les rechercher aussi loin que nécessaire, répétait-il,
et l’on ne devait pas regarder au prix car leur choix engage
l’avenir des récoltes et la descendance des animaux…..(In Olivier
de Serres et l’évolution de l’agriculture. BOULAINE
et MOREAU. L’Harmattan 2002. pp 43 et suiv.)
Olivier de Serres et les vers à soie
L’élevage des vers à soie et le tissage de celle-ci étaient
connus au moins trois siècles avant 1600. Vers 1250, il y
en avait dans le nord de l’actuel département du Gard,
on connaît même le nom d’un artisan qui dévidait
les cocons. Il devait en être de même en Italie où la
tradition fait état de l’introduction du ver à soie
par des moines, qui en auraient rapporté de Chine la « graine » cachée
dans leurs bâtons.
Olivier de Serres a rapporté de Nîmes les éléments
qui lui permirent d’élever les vers, appelés
aussi « magnans". […] Il en fait vendre les cocons à un
de ses serviteurs envoyés faire des courses à Montélimar
(on le sait par son livre de raison). Cela prouve que les quantités
produites étaient relativement faibles et qu’il n’était
pas en mesure de dévider les fils de soie.
Lorsque
O. de Serres arrive à Paris en Novembre 1599, avec
le manuscrit de son livre et le but d’implorer Henri IV pour
les intérêts de ses neveux, il est presque aussitôt
repéré par les financiers du Roi : notamment Laffemas.
Ceux-ci sont à l’affût d’une production
de luxe et de faible poids, susceptible d’être exportée
pour procurer des devises au royaume. Les collaborateurs du roi demandent
expressément à O. de Serres de faire imprimer immédiatement
le chapitre de son livre concernant la production de la soie et le
livret sort de l’imprimerie vers le 15 février 1600.
Ce sont les services des finances qui se chargent de la vulgarisation,
centrées sur Lyon, où les tisseurs de soie ont reçu
depuis plusieurs années le privilège de leurs activités,
leur matière venant probablement d’Italie. Quelques
temps après, Henri IV, de voyage à Grenoble, envoie
le directeur de ses jardins au Pradel, avec une lettre pour « Monsieur
du Pradel », portant commande de 3000 pieds de mûriers
pour les jardins des châteaux royaux. O. de Serres fera des
boutures dans ses potagers et en fournira un millier par an à partir
de 1603.
Le mérite d’Olivier de Serres reste entier mais son
intervention dans la production séricicole est plutôt
celle d’un expert que d’un industriel.
Sous le second empire, deux siècles et demi après l’intervention
du maître du Pradel, la valeur de la production de la soie dans la vallée
du Rhône et aussi un peu au sud de la Loire équivalait au 3/5 de
la production du vin en France. La concurrence des soies asiatiques, après
l’ouverture du canal de Suez, a ruiné cette production.
Jean BOULAINE
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